CHAPITRE VI
Ce n’était plus une route mais un petit chemin et il se demanda s’il n’allait pas devoir faire demi-tour tant bien que mal quand il déboucha sur un espace dégagé.
Il était sur un aérodrome,
— Merde !… Bon Dieu…
Une fantastique excitation montait en lui. Bon Dieu, un terrain !
Il était venu à la publicité par hasard, pour gagner sa vie. Il aimait bien écrire et les slogans le faisaient marrer. En vérité, il n’y avait guère qu’une chose qui l’avait passionné toute sa vie : c’était le vol.
Dès qu’il avait commencé à en parler, c’avait été la bagarre, chez ses parents. Mais il avait résisté, apporté les documents à la maison, prouvé qu’il pouvait obtenir des bourses de vol à voile. Bref, il avait gagné. À dix-huit ans il avait son brevet D de planeur. En rentrant de l’armée, il avait obtenu des bourses de vol avion en montrant une inscription en Fac. Après, il avait continué les deux : planeur et avion.
Aujourd’hui, à trente-sept ans, il avait trois cents heures « planeur » et trois cent cinquante « avion ». Mais il ne faisait plus que de l’avion depuis trois ans. Pas la grande expérience du pro, mais tout de même.
— Et dire que je n’y ai jamais pensé !
Il ne se rendit même pas compte qu’il parlait à voix haute. Machinalement, il coupa le contact et descendit. Son cerveau tournait à toute vitesse pendant qu’il regardait la petite piste en herbe. Aujourd’hui les heures de vol étaient gratuites !
Elle était orientée est-ouest, 90-270. Pas agréable pour se poser le soir par vent d’ouest avec le soleil dans les yeux ! Quoique, il eut un sourire, aujourd’hui les procédures réglementaires, hein…
— Oh ! merde, si je pouvais réussir…
Son visage se rembrunit soudain. Il venait de penser aux difficultés pratiques. Il retourna au Dodge et sortit la caisse à outils puis se dirigea vers le hangar. Le cadenas ne résista pas au cinquième coup de masse. Il pénétra à l’intérieur du bâtiment. Quatre avions étaient garés, couverts de poussière. Il fit la grimace, mais avança.
Un bon vieux Jodel 112, le piège école sûrement, derrière un Rallye 100 CV, un Dauphin, l’ancien modèle, et un autre rallye. Kevin se glissa entre les ailes jusqu’au fond et grimpa sur le dernier Rallye. C’était un 180 CV. Il ouvrit la verrière et se faufila dans le cockpit.
La bonne vieille joie l’envahit.
Il laissa ses mains caresser les commandes. Il y avait un sacré bout de temps qu’il n’avait pas fait de Rallye, et encore c’était un 200 CV d’école. Cet appareil était d’un type ancien, il avait encore la commande de volets entre les sièges, manuelle. Il en fut ravi : c’est ce qu’il préférait. Les commandes électriques l’avaient toujours laissé sur ses gardes.
Quand il se leva pour descendre, sa décision était prise. Il revint vers les portes du hangar qu’il entreprit d’ouvrir. Après quoi, il commença à tirer le Jodel par l’hélice pour le mettre sur le parking. Pas de difficulté. Mais les autres étaient plus lourds et il eut les pires difficultés. Haletant comme un fou, il se dit que s’il ne réussissait même pas à les sortir, alors il n’avait aucune chance d’en faire voler un seul…
La matinée était grandement entamée quand enfin le 180 fut dehors. Kevin était complètement crevé et décida de se reposer avant de continuer. Il força le petit club house et s’installa au bureau, celui du chef pilote probablement, d’après les documents. Il chercha les carnets des avions et finit par les découvrir dans un tiroir. Il plongea le nez dans celui du 180.
Il avait tout de suite compris qu’il s’agissait du meilleur appareil qu’il pouvait espérer trouver désormais. Un avion tellement sûr qu’il finissait par devenir ennuyeux pour des vols courants. Des qualités extraordinaires d’atterrissage court, un peu lent mais après tout quand on ne paie pas l’essence…
D’après les documents, l’avion avait encore cinq cents heures cellule avant sa prochaine révision générale et plus de quatre cents heures moteur. De quoi voir venir. Kevin se méfiait de son excitation et il se força à se préparer à manger avant d’aller voir de plus près l’état de la machine.
Il se voyait déjà en vol, trouvant enfin une raison de vivre. Il était peut-être le dernier pilote encore en vie aujourd’hui ! D’un autre côté, il n’avait jamais mis le nez dans les moteurs et ne savait rien de l’entretien, en dehors des vidanges… Et là-haut, s’il se passe quelque chose, on ne peut s’arrêter sur le bord de la route… Une panne de moteur, c’est la descente en espérant trouver assez d’espace…
Après le repas, il se retrouva devant le 180, les mains un peu tremblantes. Il manquait de l’huile. Ça, pas de problème, il savait faire. En réalité, il reculait l’échéance, le moment où il presserait le démarreur.
En le tirant, il avait entendu glouglouter l’essence dans les réservoirs d’aile. Il fit le tour de l’appareil pour effectuer une visite pré-vol classique puis monta enfin s’installer. Il voulait juste faire tourner le moteur ; pas besoin de s’attacher.
Un centimètre de pression sur la manette des gaz, freins… serrés, essence… ouverte, mélange… plein riche. Il égrenait machinalement la check-list classique. Réchauffage « carbu »… poussé, contact général… sur « on ». Les aiguilles se décidèrent lentement à bouger.
Pas bon signe. C’est maintenant que tout allait se décider : pompe électrique… rien du tout !
Et voilà, c’est bien ce qu’il craignait. La batterie était nase… Enfin juste un poil de jus.
Son poing vint frapper son genou. Vacherie de… Le groupe ! Voilà la solution : recharger la batterie avec le groupe électrogène du Dodge. Il avait amené un petit groupe Honda et un chargeur de batterie, ça collerait peut-être ?
Lancer l’hélice à la main, il n’y tenait pas, sans la pompe branchée. Il coupa tout et redescendit pour démonter le capot et sortir la batterie.
Une demi-heure plus tard, elle était en charge. Il avait jeté un œil aux plaques. Elles étaient toujours grises, mais il manquait du liquide. Il avait ajouté de l’eau de pluie prise dans un bidon derrière le hangar. Il fallait attendre.
Pas de batterie de rechange dans le hangar, ça aurait été trop beau. Il avait trouvé des bougies neuves. Il décida de les changer. En y allant doucement trouverait peut-être. Ça lui demanda trois heures, entre la recherche des outils, des clés notamment, et le démontage où il s’écorchait les mains.
Il se demanda un moment si le bruit du groupe ne le trahirait pas. Puis, en voyant le bois que traversait le petit chemin, il se dit que non. En tout cas, le coup était jouable.
Quand il eut terminé, il entreprit de nettoyer l’avion. Il avait encaissé des pets, ce pauvre Rallye. La tôle n’était pas toujours lisse. Enfin les becs, devant les bords d’attaque des ailes, étaient en bon état et c’était le principal.
Il retourna dans le club house et fouina à la recherche de cartes, de matériel de navigation, planchette de vol à fixer sur le genou, etc. Assis au bureau, il laissait son regard traîner sur la grande carte quand ses yeux tombèrent sur Tarbes. Bon Dieu…, c’est là qu’était installée la Socata, la société qui fabriquait, autrefois, les Rallye. Avec un peu de veine, il trouverait un avion sortant de révision générale.
Oui, c’était exactement ce qu’il fallait faire. Prendre des risques avec ce piège mais aller à Tarbes. Il s’y était posé une fois, dix ou douze ans auparavant. Il y avait de grandes pistes, pas de problème.
En fait, le problème serait plutôt de retrouver ce petit terrain-ci, au retour. Kevin n’avait jamais été un bon navigateur : il passait trop de temps à regarder le paysage et se paumait. En revanche, il avait un vrai don pour retrouver sa position. Pourvu qu’il y ait de l’essence, ça collait…
Dans l’après-midi, il compléta les pleins d’essence à la main et décida de laisser la batterie en charge jusqu’à la nuit et de lui redonner une heure ou deux le lendemain. Puis il prépara le barda qu’il emmènerait. Le fusil, bien sûr, un « canons sciés », le ceinturon avec le Herstall, de l’eau, des boîtes de conserve et un bon blouson. Ah ! Et aussi un sac de couchage. Là-dessus, un paquet de munitions et ça collerait.
Après quoi, il traça sa route. Limoges, d’abord, 140 kilomètres, puis Agen : 190 km et ensuite le long du Gers et Tarbes, un peu plus de 120. Environ 450 km à disons 220 de moyenne… L’affaire de deux heures et des poussières ! Sans se paumer… De toute façon, s’il se paumait il se poserait tranquille et regarderait le nom du bled le plus proche. Avec une Michelin il se retrouverait.
Il alla se coucher de bonne heure et, à cinq heures, était debout. Avant de manger, il remit le groupe en route. Le temps était assez beau. À la mi-juin, c’était normal. Une petite brume, quand même. Vaudrait mieux attendre que ça se lève.
La proximité du départ le mettait dans un état bizarre. À la fois de l’excitation et une certaine appréhension. Personne n’était là pour lui dire si l’avion était en état de vol ou non. Pas de chef pilote pour donner le feu vert…
À sept heures, il était dans la cabine du Rallye, refaisant les gestes de la veille. Cette fois le clic-clic habituel de la pompe électrique se fit entendre et il continua la check-list : magnétos 1 + 2… Démarreur…
L’hélice se mit à tourner lentement… Il pompa comme un fou à la manette de gaz.
— Allez vas-y… tu vas pas te noyer, salopard…
Et d’un seul coup le moteur démarra. Il en aurait hurlé de joie. Bon Dieu, ça y était ! La pression d’huile montait. Il ramena le régime à 1000 tours et décida de laisser chauffer sérieusement avant de faire des essais de puissance max.
L’aiguille de température d’huile monta lentement. Au bout d’un quart d’heure il se décida et poussa à fond les gaz… Pas tout à fait 2700 tours. C’était bon. Un coup de ralenti pour voir…
Son cœur hoqueta en même temps que le moteur et repartit avec lui. Ouais… enfin il tiendrait bien jusqu’à Tarbes.
D’abord un vol d’essai pour se mettre le piège en main.
Il desserra le frein de parking et mit un poil de gaz pour rouler vers la piste. La biroute pendait au bout de son mât : il décida d’aller au bout de la piste pour la prendre au 270°, vers l’ouest. Le matériel était derrière, arrimé avec les deux bidons qu’il s’était décidé à emmener, en réserve.
Le bout de piste. Il fit les vérifications classiques : sélection des magnétos et préparation de la machine. Un cran de volet… et respira longuement. Maintenant ou jamais !
Les gaz… L’avion pivota, s’aligna et le moteur rugit. La main sur le manche, il guettait la machine. Depuis plusieurs années les heures de vol étaient devenues si chères qu’il volait surtout pour entretenir sa licence. Donc sur les pièges les moins chers, là-bas à Chavenay, près de Paris, et par conséquent les moins puissants. Un 180 CV pas question, alors il avait perdu l’habitude des grosses machines comme ça.
95… 100, il devrait pourtant y aller… Kevin tira légèrement sur le manche, éprouva une résistance anormale et s’aperçut qu’il avait oublié de régler le tab de profondeur !
Cette fois, il tira franchement et le Rallye s’arracha du sol avec facilité.
— Ça y est… Ça y est !
Il hurlait de joie dans le cockpit. Il réduisit les gaz à 2500 tours et entama un virage léger par la gauche, son côté préféré. Le vario indiquait presque 3 mètres-seconde de vitesse ascensionnelle et 120 au Badin. Il se souvint que la vitesse max, avec volets, était de 140 ou quelque chose comme ça et tira davantage sur le manche en voyant l’aiguille s’y diriger.
Le terrain… Il jeta un œil en dessous et mit plusieurs secondes à le repérer. Il ne se croyait pas déjà si loin. Virage et retour en continuant à monter. À 2000 pieds il rétablit en palier et commença sa prise en main. D’abord réglage du tab puis réduction de la vitesse, volets sortis.
La vitesse diminua et les becs d’aile sortirent. Il surveillait l’aiguille du Badin, ramenant le manche au ventre… 95… 92… 90. Le nez bascula sans qu’il ait eu à corriger aux pieds un départ en vrille. Déjà il avait rendu la main et ramenait l’avion à l’horizontale. Bon, ça marchait, il s’était mis en mémoire le comportement à basse vitesse.
Il commença des évolutions bille au milieu. Pas d’histoire, elle s’y tenait. Comme s’il n’avait rien perdu de sa main. L’avion devait y être pour quelque chose…
Il était temps de voir ce que donnait l’atterrissage. Les gaz réduits, réchauffage carbu branché, il commença à descendre, surveillant la piste qu’il vint survoler à 900 pieds, à peu près 300 mètres. Oh ! Et puis au fond il se souvenait du taux de chute phénoménal des 100 CV avec tous les volets sortis ; pourquoi pas essayer tout de suite ?
De la main droite, il tira le levier, retrouvant l’impression du coude levé en arrière, et poussa légèrement le manche. L’avion sembla hésiter une fraction de seconde et plongea vers le sol sous un angle ahurissant.
Il avait oublié à quel point c’était spectaculaire et dut partir en virage pour se rapprocher de la piste.
Elle arrivait… Nouveau virage à gauche pour s’aligner. Si un chef pilote avait été là, il aurait hurlé en voyant une prise de terrain comme ça mais Kevin était tout à sa joie de la liberté de piloter. Sa vitesse se maintenait à 120 et l’appareil était parfaitement manœuvrable.
Kevin se souvenait avoir vu, des années auparavant, une démonstration fantastique de Maurice Sérée, le pilote maison du constructeur. L’impression que l’avion était immobile en l’air. Il évoluait à la perpendiculaire du parking ! Et il se mettait dans des positions dingues. Aucun autre avion au monde n’aurait jamais pu faire ça…
La piste… Elle se rapprochait à toute vitesse, Kevin tira le manche à lui, arrondissant près du sol et laissant la machine perdre d’elle-même sa vitesse et venir toucher en douceur l’herbe, bien cabrée.
Il savait qu’il venait de faire du beau boulot et en savoura le plaisir en laissant courir le Rallye avec ce bruit de ferraille caractéristique. Il se souvint de ce qu’il avait dit la veille au soir dans la ferme. Cette fois, il avait trouvé sa place !
Lentement, il revint au parking pour une dernière inspection de la machine.
Pas d’huile dans le moteur, rien n’avait bougé. Plus la peine d’attendre. Il alla cacher le Dodge dans le petit bois, planqua un « canons sciés » dans un creux d’arbre pas loin avec une cartouchière et retourna à l’avion, avec ses cartes et son plan de vol.
Maintenant, il se sentait un peu déphasé. Ce retour à une situation ancienne le perturbait.
Cette fois, le moteur démarra au premier coup et Kevin rejoignit sans attendre le bout de piste.
Les gaz, le tab réglé, les roues quittèrent le sol très vite. Sûrement pas plus de 150 mètres de roulage. À deux cents pieds il vira à gauche vers son cap et continua à prendre de l’altitude. Il était maintenant neuf heures moins le quart : si tout se passait bien, vers onze heures, il serait à Tarbes.
Il arriva pile sur Limoges et se dit que c’était bon signe. Il volait à 6000 pieds, 2000 mètres, et voyait assez loin. Toujours un peu de brume, mais ça pouvait aller. La radio était allumée depuis le départ mais il avait beau chercher sur toutes les fréquences, personne n’appelait, bien sûr.
Ses yeux revenaient sans cesse sur le conservateur de cap qu’il vérifiait toutes les cinq minutes. Il songea qu’il n’avait jamais été aussi attentif à sa navigation. Et pour cause…
Vers 10 heures 20, il passait Agen et longeait le Gers peu visible avec le soleil à gauche. Bientôt, il commença à apercevoir les Pyrénées. Ah ! si André avait été là…
À peine eut-il pensé cela qu’il eut un coup au cœur. C’est à André qu’il avait songé, pas à Catherine ! Il comprit que Catherine et sa vie antérieure appartenaient à un passé définitivement perdu et qu’inconsciemment il avait accepté sa disparition. Il commençait une nouvelle vie dans un autre monde. Comme s’il était né une seconde fois.
Il aperçut Tarbes et l’aérodrome, à quelques kilomètres au sud-ouest, presque en même temps. La grande piste en béton mesurait 2400 mètres et se distinguait bien. Il commença à descendre, réduisant les gaz, décidé à bien observer avant de se poser.
À deux cents mètres on ne voyait pas grand-chose. Il aurait fallu que des mecs se baladent à découvert pour qu’il remarque quelque chose. Il fit un virage et descendit un cran de volet pour réduire sa vitesse et passer plus bas.
L’usine de la Socata était bien visible avec son parking où ses avions étaient alignés.
Kevin fit un dernier passage, à cinquante mètres à peine du sol, puis une brusque ressource avec un virage au sommet pour revenir se poser.
L’avion basculait, une aile en l’air quand le moteur s’arrêta. Net…
Sans avoir besoin de réfléchir, Kevin avait poussé le manche en avant et mit du palonnier à gauche. « Avant tout garder de la vitesse », la vieille règle qu’on lui serinait en planeur, autrefois, venait de remonter à sa mémoire. Il se sentait parfaitement calme, les yeux fixés sur la piste.
Pas haut… et pas sûr qu’il puisse l’atteindre et surtout s’y aligner. Il aurait fallu qu’il coupe le contact, mais il n’avait pas le temps de s’occuper de ça.
Un seul cran de volet était sorti, toujours ça ! Il convergeait vers la piste mais quoi qu’il fasse il ne pourrait pas poser le piège en travers, pas assez de place. Il faudrait donc faire un virage pour s’aligner… Est-ce qu’il lui resterait assez de hauteur à transformer en vitesse à ce moment-là ?
Il n’y avait pourtant aucune solution de rechange, alors il faudrait bien que ça colle.
20 mètres… Il tenta le tout pour le tout et piqua vers le sol pour faire remonter sa vitesse à 120 puis, aussi coulé que possible, il tira sur le manche en l’inclinant légèrement sur la gauche.
Le Rallye remonta et commença un virage large. Ne pas laisser tomber la vitesse trop bas surtout… L’aiguille se baladait vers les 100 km/h… Tangent, mon vieux, drôlement tangent, ne joue pas au con, Kev !
La piste…, elle était presque là. Insensiblement, il poussa sur le manche… Le sol n’était pas à plus de quatre mètres de son bout d’aile…
Maintenant, mon vieux, maintenant… Il releva son aile et remonta le nez du piège ; déjà les roues touchaient !
Il laissa l’avion courir, ce serait autant de moins à faire à pied, puis le dirigea droit sur le côté pour le sortir de la piste.
Cette fois, il pouvait tout couper et regarder le moteur à tout hasard.
Ce ne fut pas nécessaire. Dès qu’il eut mis le pied par terre, il vit les longues coulées d’huile sous le fuselage, jeta quand même un coup d’œil par la trappe de visite se botta les fesses mentalement. Le bouchon de d’huile n’était plus en place ! Il avait dû mal le serrer, moralité, tout avait foutu le camp et le moteur avait serré. Le bol qu’il ait tenu jusque-là. Une sacrée leçon.
Il ramassa son sac et ses armes et se dirigea vers les bâtiments, au fond.
Il en était à mi-chemin quand le bruit du moteur l’atteignit. Il se retourna rapidement. Une bagnole venait droit sur lui, par un taxiway ! Un instant, il eut la tentation de se mettre à courir, mais à quoi bon ? Le premier abri était à plus de huit cents mètres… Il s’allongea, puis songea qu’il devait rester prêt à éviter une charge et se mit à genoux, l’arme à la main.
Sèchement, il arma le fusil. Si jamais ces gars arrêtaient pour le canarder à distance, c’était fini. Il ne pourrait même pas répondre… Pas question en tout cas de se laisser faire.
Des canons de fusil passaient par les portières. Mais ne se dirigeaient pas spécialement vers lui. À vingt mètres, la bagnole s’arrêta et un homme descendit. Kevin distinguait deux passagers devant et encore un ou deux derrière.
— Eh ?…
L’homme au sol l’interpellait.
— Quoi ?
— On ne vous veut pas de mal, reprit l’autre en braillant.
— D’accord mais c’est pas la peine de crier si fort, riposta Kevin sans baisser son arme.
— Ecoutez, on voudrait parler mais si vous faites mine de tirer sur moi quand je m’approcherai mes amis vous descendent, compris ?
Kevin comprit combien ces rencontres entre survivants étaient périlleuses. Chacun se croyait en danger et pouvait déclencher le tir et le massacre simplement par manque de sang-froid. Il se sentait oppressé mais baissa le canon du fusil.
— Comme ça, c’est bon ?
L’autre se mit en marche et Kevin eut le temps de le dévisager. Un type de son âge, costaud, râblé plutôt. Il était vêtu d’une chemise à carreaux et d’un pantalon de velours. À sa ceinture pendait un pistolet, un Mac 50, apparemment. Récupéré sur un C.R.S. probablement. Il s’arrêta à deux mètres et le regarda longuement.
— C’est vous le pilote ?
Kevin se borna à hocher la tête.
— Vous venez d’où ?
— Du coté de Bourges, pourquoi ?
— Vingt dieux, de quel bois êtes-vous fait ? Vous rencontrez des survivants et tout ce que vous dites c’est pourquoi ? Vous n’éprouvez jamais de sentiments ?
— C’est à moi que vous dites ça ! J’en connais qui seraient soufflés de l’entendre, merde ! Je n’allais tout de même pas courir vers vous, non ?
— Et pourquoi pas ? C’est bien ce qu’on a fait, nous.
— À quatre, c’est facile.
— Je ne vous comprends pas, pourquoi cette méfiance ?
Du coup, Kevin scruta son vis-à-vis.
— Comment ça se passe par ici, vous n’avez pas de bandes ?
— Des bandes de quoi ?
— Ça alors !… Ou bien vous me chambrez, ou vous êtes… Ecoutez, je vais avec vous jusqu’à la voiture mais si vous m’avez manœuvré j’en emmènerai au moins deux avec moi.
— Je ne comprends rien à ce que vous racontez mais venez toujours.
— Alors, Paul ?
— Qu’est-ce qu’il dit ?
Les autres semblaient impatients quand ils approchèrent.
— Montez derrière ! lança l’un deux.
— Pas question, on discute ici, c’est très bien.
— Il est très méfiant, expliqua le dénommé Paul avant de s’asseoir par terre.
Kevin l’imita, son fusil en travers des genoux.
— Pourquoi vous êtes méfiant ? demanda un jeune gars en sortant de la bagnole.
Il avait un sacré accent rocailleux et Kevin se détendit bêtement.
— Je ne sais pas comment ça se passe chez vous mais là-haut, dans le Nord, les gens se massacrent à qui mieux mieux. Alors quand on voit un groupe d’hommes, on se taille.
— C’est pas vrai ? C’est pas possible… Vous exagérez, hein ? Vous voulez nous effrayer ?
— Oh non, croyez-moi. D’ailleurs vous êtes armés vous aussi !
— Bien sûr, avec les chiens, tiens !
— Des chiens ?
Cette fois, c’est Kevin qui ne comprenait plus.
— Y en a pas dans le Nord ?
— Ecoutez, on ne va jamais y arriver comme ça, intervint Paul. Laissez-le nous raconter ce qui se passe là-bas et ensuite on lui dira pour ici.
Kevin commença donc à résumer la situation telle qu’il l’avait subie. Quand il s’arrêta, les autres étaient silencieux.
— Jamais j’aurais cru, murmura Paul. Nous aussi on a connu ces choses, mais avant la disparition des derniers condamnés, maintenant c’est fini. Si on a des armes, c’est à cause de ces meutes de chiens. On ne sait pas d’où ils viennent, mais ils attaquent à vue.
— Vous êtes nombreux ici ?
— Trente-quatre, avec ceux qui sont venus de la région.
Une véritable communauté ! Le redémarrage ?
— Comment vivez-vous ?
— On s’est installé dans un village à douze kilomètres. La ville était devenue dangereuse avec la chaleur et tous les corps qu’on n’a pas pu enterrer ou brûler.
— Et… que faites-vous ?
— On va faire les récoltes, tiens. Il faudra bien manger l’hiver prochain.
— Il y a beaucoup de cultivateurs avec vous ?
— Ça non, mais ils apprennent. Il faut bien s’y mettre.
— Ils sont tous volontaires ?
— Volontaires, volontaires, comme vous y allez. Il faut bien faire le travail, non ?
Peut-être même pas volontaires du tout ! Au fond, d’une autre manière ici non plus ils n’avaient rien compris. Ils voulaient faire comme auparavant : cultiver, que ça plaise ou non. Malgré les immenses réserves qui permettaient au contraire de s’organiser d’abord. Il se garda d’en parler.
— Et pourquoi vous avez laissé votre avion là-bas ? demanda un autre gars.
— Le moteur est mort.
— Vous veniez pour quoi faire, à propos ?
— Je venais chercher un avion à la Socata justement.
— Et pourquoi qu’vous restez pas, on a besoin de bras, lâcha le plus vieux, qui n’avait encore rien dit.
— Je ne suis pas cultivateur.
— On vous apprendra.
Kevin eut envie de lui dire qu’il était son seul maître et qu’il voulait en rester là, mais il songea qu’il serait probablement plus utile de ne pas les braquer.
— Chacun sa place. Vous avez vu des avions depuis deux ou trois mois ?
— Non.
— Si ça se trouve je suis le dernier pilote.
— Pour ce que ça sert tous ces trucs-là, on n’en a pas besoin. Vous voyez bien où ça nous a menés.
— Mais… personne n’y est pour rien ! La comète, personne ne l’a fait dévier de sa route, que je sache.
Cette fois, il avait parlé sèchement. Il fallait mettre les choses au point.
— C’est pas votre bel avion qui vous nourrira, allez.
— Vous n’en savez rien. Par ailleurs je chasse et je pèche quand j’en ai envie et si je prends des conserves elles ne sont à personne.
— Les conserves, dans quelques années y en aura plus guère de bonnes, tandis que la terre elle sera toujours là !
— Allez, père Vaquier, vous fâchez pas, dit Paul, apaisant.
— Est-ce que vous avez un médecin ici ? demanda soudain Kevin.
— Ah non, on n’a pas de médecin. Pourquoi, vous en avez besoin ?
— Non. J’étais seulement en train de penser qu’il n’y en avait peut-être plus.
Les quatre se regardèrent. Apparemment, eux non plus n’avaient jamais envisagé la question.
— Vous allez en chercher ? fit l’un d’eux.
— Non, pas spécialement, sauf si je pense que c’est vraiment nécessaire… s’il devait y avoir une naissance par exemple.
— P’têtre que votre avion il sera quand même utile, marmonna le vieux.
Kevin n’en espérait pas tant et ne répondit pas.
— Bon, c’est pas tout ça, on va vous conduire à l’usine et on s’en retourne, c’est qu’y a du travail, avec les fruitiers.
Avant de le laisser, Paul lui lança :
— On repassera ce soir. Si vous ne partez pas, vous viendrez passer la nuit au village.
Il leva la main en signe d’accord et se mit à regarder autour de lui.
La plupart des avions du parking étaient de la série Tobago. Manifestement neufs, sortant de chaîne avant livraison. Lentement, Kevin approcha et longea la file. C’est en arrivant au bout qu’il aperçut le second parking, derrière. Et là-bas, il y avait des Rallye.
Il approcha rapidement. Oui, des 100 CV apparemment. Pas assez puissants pour ce qu’il voulait faire. Il allait continuer quand ses yeux accrochèrent une queue de fuselage au coin du bâtiment le plus proche. Sous le plan fixe il distinguait un crochet de remorquage… Bon Dieu, qui dit remorqueur de planeur, dit 180 CV… Cette fois, il se précipita.
Huit remorqueurs étaient là, flambant neufs ! Une petite série devait avoir été lancée pour des clubs de vol à voile. Le pot, le pot immense de tomber sur des pièges neufs…
Il grimpa sur une aile mais impossible d’ouvrir la verrière, elle était fermée à clé. Vacherie, où aller les trouver ? il se dirigea vers le bureau le plus proche à l’intérieur du hangar. Il commença à fouiller les tiroirs, obligé d’en forcer plusieurs. Rien.
Une heure plus tard, il était toujours là en vain. Il était plus de midi et il décida de manger. Sortant ses boîtes, il ouvrit un pâté et commença à mastiquer, avec des biscottes. Rejeté en arrière dans le fauteuil il regardait dans le vide, déprimé, et mit un moment à reconnaître ce qu’il voyait. Accrochées à des clous, il y avait là une trentaine de clés…
— Ah ! le con, le con génial !
Il se bottait le train consciencieusement en pensant qu’elles étaient là sous son nez… Il posa le pâté et sortit avec toutes les clés. Le quinzième petit trousseau ouvrit la verrière du premier avion. Il chercha encore celles des deux suivants et les laissa sur les serrures puis retourna au premier et s’y assit.
Ça sentait le neuf et il éprouva le plaisir que l’on goûte dans une voiture qu’on vient d’acheter. Pas de volant mais un manche à balai, heureusement. En revanche, les volets étaient électriques ! On ne peut pas tout avoir. D’un autre côté, ça voulait dire que la batterie devrait toujours être en état…
Une batterie qui n’était pas sous le capot d’ailleurs. Normal, il fallait les trouver. Cette fois, ce ne fut pas difficile, elles étaient dans un petit dépôt au fond du même hangar. Dans des emballages spéciaux avec le liquide adéquat. Chargées sèches, probablement. Il fallait verser le liquide et attendre. Sinon la dernière solution serait d’utiliser celle du piège là-bas sur la piste.
Il y avait là une trentaine de batteries et il en chargea trois à l’arrière, solidement arrimées. Après quoi il entreprit de chercher un gonfleur à pied pour les pneus. Il fallait attendre deux heures au moins d’après la notice de l’emballage des batteries.
Kevin approchait dangereusement des limites extrêmes de ses connaissances mécaniques. D’après les compteurs journaliers sur le tableau de bord, les remorqueurs avaient une demi-douzaine d’heures de vol. Pas rodés en somme. Il faudrait y aller mou. De toute façon, ces avions avaient forcément une hélice petit pas pour grimper des planeurs à 500 mètres, donc même sans utiliser toute la puissance ça monterait. D’un autre côté ils ne devaient guère dépasser les 200 km/h en croisière. Mais avec leur cellule légère, le rapport poids/puissance devait être favorable.
Il trouva un gonfleur qu’il embarqua lui aussi, mais derrière les sièges arrière. Puis il décida de mettre les autres remorqueurs à l’abri du hangar vide.
Vers six heures, il se dit que la batterie devait être en état. Il vérifia l’huile, embarqua encore deux bidons et s’installa à bord.
La batterie donnait, mais il crut qu’il allait la vider tant le moteur fut long à partir… Il fit chauffer dix minutes et commença à rouler vers la piste au loin. Quand il se trouva au bout, tous les indicateurs étaient dans le vert et il mit la gomme.
Sur cette piste en dur il eut l’impression de rouler à peine plus de cent mètres avant d’être en l’air. Gaz à 2300 tours seulement il monta, à la verticale du terrain. Les volets électriques étaient finalement assez commodes avec une petite barre, vers 8-10° correspondant au premier cran, et ensuite à la demande.
Il se reposa sans histoire et roula jusqu’au hangar. Une bagnole arrivait avec l’un des jeunes gars de l’après-midi.
— Alors il marche votre aéroplane ?
Kevin sourit.
— Ça marche, oui. Et ici ? Pas de meute ?
L’autre se rembrunit.
— Parlez pas de ça, on en a entendu tout à l’heure dans les champs.
— Ils sont vraiment dangereux ?
— Des fauves. Quand vous les voyez il faut vite se mettre à l’abri… Eh ! dites donc, vous avez scié votre fusil ?
— Oui.
— Ça alors, comme au cinéma, hein ?
Kevin fut un peu vexé, mais ne réagit pas. Après tout, le gars n’avait pas connu les villes du Nord.
Par des petites routes tranquilles ils arrivèrent au village. Une dizaine de maisons à un carrefour.
— Alors l’aviateur, toujours là ?
Paul avait un grand sourire.
— Venez, vous allez manger chez nous, c’est la plus grande maison. Chacun se présentera à son tour, hein, on fait pas de manière.
Il y avait apparemment davantage de femmes que d’hommes dans cette communauté. Mais toutes étaient habillées de pantalons et revenaient visiblement des champs. Certaines paraissaient fatiguées. Peu habituées à ces travaux. L’une d’elles s’occupa de Kevin.
— Je m’appelle Marie-Françoise, avait-elle dit, mais ici tout le monde m’appelle la Marie.
— Et ça vous plaît ?
— Non… mais il vaut mieux être ici que seule n’importe où, non ?
Il n’avait rien répondu. Elle l’avait conduit à une chambre minuscule, sous les toits. Puis il était descendu se laver à l’abreuvoir alimenté par une pompe, derrière la maison. Il avait descendu son barda, laissant là-haut le fusil et le ceinturon.
Torse nu, il plongeait la tête sous l’eau quand un grondement, suivi d’un hurlement, retentit. Ça venait de l’autre maison, à vingt mètres. Il tourna la tête dans tous les sens, et vit le « canon sciés » dont la crosse amputée dépassait du sac. Il s’en empara et plongea la main, ramenant la cartouchière qui se trouvait là à demeure, puis il cavala vers la gauche.
Il eut un sursaut en débouchant du coin. Un chien était en train d’égorger une vieille femme qui ne se débattait plus et deux monstres, des dogues, accouraient à toute vitesse à travers champs.
Kevin réagit d’instinct. Sa main gauche vint empoigner les canons, les tenant fermement tandis que la droite saisissait la mini-crosse. Ses doigts écrasèrent les détentes dès qu’il se fut accroupi. Les deux détonations se confondirent. Le chien reçut les décharges alors qu’il se retournait. Sa gueule parut disparaître, transformée en un magma sanglant.
Les mains de Kevin s’agitèrent, cassant le fusil, éjectant les étuis vides et enfournant deux nouvelles cartouches. Lorsqu’il fut prêt à tirer de nouveau, les deux bêtes étaient à dix mètres. Cette fois, il eut assez de sang-froid pour ajuster, de la hanche, chacun des fauves et ses deux coups portèrent.
L’un des chiens tomba, foudroyé, mais le second, blessé, poursuivit sa trajectoire. Kevin fit un pas de côté, leva son arme et l’abattit de toutes ses forces sur l’énorme tête, au passage.
Il était encore dans la même position, l’arme levée au-dessus de sa tête quand il sentit une présence à ses côtés. Trois hommes étaient là, fusil de chasse en main.
— Ils étaient seuls, dit quelqu’un.
Les jambes prises de tremblements nerveux, Kevin ne bougeait pas.
— Merci d’avoir sauvé le petit, monsieur.
— Quoi ?
Une jeune femme tenait un enfant dans ses bras. Il eut envie de lui dire qu’il n’avait rien fait de ce genre, mais renonça. Les yeux fixés sur la vieille femme, au sol, il n’avait pas encore réagi.
Plus tard, on lui fit boire un verre d’alcool et il récupéra.
— Saloperies de chiens !
Trois hommes, assis à côté, grondaient de colère.
— D’où viennent-ils ? interrogea Kevin pour tenter de se calmer.
— Il y avait des élevages de dogues et de bergers dans la région. Une mode, quoi. Ils se sont sauvés ou quelqu’un les aura libérés.
Le repas du soir fut triste et silencieux. Kevin monta très vite se coucher. Il s’endormit comme une masse et se réveilla, trempé de sueur. Il faisait très chaud, sous le toit. Pas encore minuit, d’après sa montre, et impossible de s’endormir. Il descendit pour aller boire.
Dans le noir, il se perdit et déboucha sur une véranda, derrière la maison. La cuisine ne devait pas être loin mais il faisait bon ici et il s’assit.
Il devait être là depuis plus de cinq minutes quand une voix s’éleva :
— Où habitiez-vous… avant ?
Il sursauta et repéra une silhouette assise par terre dans un coin.
— Excusez-moi, dit-il, je ne vous avais pas vu. L’ombre se leva et il reconnut la silhouette d’une jeune femme.
— Vous avez soif ?
— Oui.
— Je vais chercher quelque chose.
Elle revint rapidement avec deux grands verres.
— Du Coca, ça vous va ?
Il sourit. Plutôt une jeune fille qu’une jeune femme… En tout cas, c’était assez frais et il la remercia.
— Alors, vous habitiez où ?
Elle parlait à mi-voix, pour ne pas réveiller les autres probablement. Une voix chaude, pourtant, prenante.
— Paris.
— Et vous faisiez quoi ?
— Rédacteur publicitaire.
— Marié ?
— Oui.
Le silence s’établit. C’est elle qui le rompit, plus tard.
— Je vous demande pardon.
— Maintenant ça me semble très loin, fit-il sans tourner la tête, regardant sans les voir de grands arbres, au loin. Et vous ?
— Je vivais à Toulouse… avec un garçon.
Pas mariée mais quelle différence ?
— Comment êtes-vous venue ici ?
— Je ne sais pas. Tout est confus dans ma mémoire. Je l’ai probablement rejeté dans mon inconscient.
— Etudiante ?
Elle eut un petit rire amer.
— Décidément on ne me donnera jamais mon âge, même maintenant… Non, je faisais de la psycho appliquée dans une école d’enfants retardés.
Et aujourd’hui cultivatrice… Une civilisation était morte.
— Et maintenant, je cueille les cerises !
— Vous aimeriez faire quoi ?
— Me baigner dans la mer, pêcher, me refaire une santé morale, souffler, quoi. Tiens, refaire du cheval.
— Pourquoi vous ne partez pas ?
— Pas facile de les quitter. Ils prennent ça comme une trahison.
— C’est arrivé ?
— Oui. Un couple, il y a deux mois. Ils ont voulu revenir après quinze jours. On ne les a pas laissés faire. Depuis on n’a plus de nouvelles.
— Vous êtes résignée ?
La réponse tarda à venir.
— Pas encore.
Il réfléchit longuement. Dans son esprit, des choses se mettaient en ordre. Il calculait, prévoyait. Longtemps après, il laissa tomber.
— Patientez encore. Un jour je vous emmènerai.
— Un jour ? entendit-il.
— Je ne sais pas quand, voilà pourquoi je dis un jour.
Ils ne parlèrent plus et quand il finit par remonter se coucher, elle n’était plus là. Il n’avait pas même vu son visage.